Histoire de la Papeterie Saint-Gilles
La Papeterie Saint-Gilles, sise à Saint-Joseph-de-la-Rive, dans Charlevoix, voit le jour grâce à monseigneur Félix-Antoine Savard, auteur du célèbre roman Menaud, maître-draveur. Poète prolifique, il rêvait de coucher ses œuvres sur un papier fait main, à base de coton et fabriqué au Québec. C’est en feuilletant des livres anciens à la bibliothèque qu’il avait découvert les propriétés exceptionnelles de conservation de ce papier.
Au début des années 60, la seule production de papier sur le territoire de la province est celle de l’industrie des pâtes et papiers, alors en pleine expansion. La papetière Donohue (aujourd’hui Résolu), à Clermont, témoigne de ce glorieux passé encore d’actualité (le Canada est le 5e producteur mondial de papier). Mark Donohue, PDG de la papetière et proche ami de monseigneur Savard, devient un conseiller ainsi qu’un généreux mécène qui permet la fondation en 1965 de la Papeterie Saint-Gilles. Félix-Antoine Savard conserva la présidence de la papeterie jusqu’à sa mort en 1982.
Georges Audet, fabricant de bateaux de bois et résident de Saint-Joseph-de-la-Rive, est le premier papetier. Il a été formé aux États-Unis et en France, grâce à l’accueil d’artisans qui perpétuent le savoir-faire et la tradition de la fabrication du papier artisanal. C’est dans l’ancienne école primaire de la petite municipalité de Saint-Joseph-de-la-Rive (qui fait aujourd’hui partie des Éboulements) que prend naissance cet atelier unique de production de papier artisanal de coton, reconnu pour sa souplesse et sa résistance.
Qui est Saint-Gilles ?
Le nom de la papeterie est lié à l’histoire locale, tel que cela avait été conseillé par Henry Morris, cet Américain chez qui les premières recherches techniques ont été faites. L’épouse de l’oncle de Mark Donohue s’appelait madame Alice Béant de Saint-Gilles. Elle exploitait une ferme sous le nom de Saint-Gilles à La Malbaie. Puisque Mgr Savard aimait bien la légende du dit Saint-Gilles, un légendaire moine chrétien itinérant, patron des infirmes, mendiants et forgerons, et que le nom de Saint-Gilles était lié à la famille Donohue, l’appellation de la papeterie était trouvée.
Au décès de monseigneur Savard, Cyril Simard, architecte et ethnologue, devient le président de la société artisanale. Après avoir établi le concept d’économusée dans son doctorat à partir des idées de Félix-Antoine Savard, il fait en sorte que la papeterie en devienne le premier porte-étendard. La Papeterie Saint-Gilles, Économusée du papier, fait aujourd’hui partie d’un vaste réseau qui compte 46 économusées au Québec ainsi qu’un total d plus de 110 membres au niveau international.
La Papeterie Saint-Gilles est aujourd’hui un organisme sans but lucratif, géré par un conseil d’administration et exploité par une équipe permanente. Ces acteurs assurent son fonctionnement et pérennisent la tradition de la fabrication du papier artisanal tout en actualisant son positionnement et ses stratégies de développement.
À la fois doyenne et l’une des dernières fabriques de papier artisanal au Québec, la Papeterie Saint-Gilles produit depuis près de 60 ans du papier de haute qualité dont la réputation dépasse les frontières canadienne
Le papier… qui l’a inventé ?
Quelques repères historiques d’ici et d’ailleurs
L’invention du papier est intimement liée à l’écriture, au désir de communiquer de l’être humain. Pensons aux premiers signes écrits par l’homme des cavernes, qui ont été faits sur la pierre ou sur l’os, puis sur le bois, le métal et l’argile.
Le papier est né en Chine vers la fin du IIIe siècle avant l’ère chrétienne. Au VIIIe siècle, les Arabes apprennent l’art chinois de fabrication du papier et le transmettent peu à peu à l’Occident. Au XVe siècle, l’invention de la typographie par Gutenberg accroît la consommation de papier, mais c’est au XIXe siècle que l’industrie du papier prend réellement son essor. Au siècle suivant, elle devient l’industrie lourde que nous connaissons aujourd’hui.
Le papier a toujours accompagné l’activité et le développement de l’homme, assurant par là même l’essor des peuples qui en maîtrisaient la fabrication.
Les débuts du papier
En Chine, en 105 après J.-C., Tsaï Loun, ministre chinois de l’agriculture, est le premier à codifier l’art de fabriquer le papier, en préconisant d’utiliser des fibres issues de bambous, des écorces de mûriers et surtout du lin et du chanvre.
Cet art de fabriquer le papier restera chinois et japonais jusqu’au VIIIe siècle avant de passer chez les Arabes, à la suite de la bataille de Samarkand en 751. Ces derniers comprennent rapidement tout le profit qu’ils peuvent tirer du papier pour propager l’Islam.
Après l’introduction peu fructueuse du coton comme matière première fibreuse pour améliorer la blancheur, ils en font leur vecteur de communication numéro un. À ce titre, le papier peut être considéré comme le premier grand média de masse.
Dès lors, à mesure que les Arabes progressent vers l’Occident, le papier y fait son apparition.
Le rôle de l’invention de la typographie
Vers 1440, nouvelle révolution : l’invention de la typographie (basée sur le principe de caractères mobiles) par Gutenberg dope l’utilisation et donc la fabrication du papier, qui deviendra complètement artisanale avec la généralisation des piles à maillets actionnées par l’énergie hydraulique.
L’apport capital des Hollandais
L’invention par les Hollandais du cylindre qui porte leur nom, au XIIIe siècle, reste un événement marquant pour la trituration des chiffes et des chiffons et pour l’histoire du papier. Cette nouvelle technique apporte des avantages considérables :
- Les faibles pertes en matières sèches
- Les gains en énergie et en personnel de production
- Une qualité supérieure
L’invention de la machine à papier
C’est incontestablement le XIXe siècle qui permet au papier d’acquérir toutes ses lettres de noblesse et à son procédé de fabrication d’opérer sa grande mutation, en passant de l’artisanat à l’industrie lourde.
La fabrication du papier à partir du bois
Au milieu du XIXe siècle, face aux difficultés d’approvisionnement en chiffons de plus en plus grandes, notamment à cause de la flambée des prix, les papetiers recherchent de nouvelles matières premières. On pense alors tout naturellement au bois.
Une idée qui n’a rien de nouveau : les Chinois avaient déjà fabriqué du papier à partir de fibres d’écorces et de bambous.
En 1885, la pâte mécanique devient la matière première essentielle pour produire du papier journal, acceptée par la plupart des éditeurs de journaux aux États-Unis et au Canada.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, des procédés chimiques sont mis au point pour obtenir des fibres à partir du bois — les pâtes chimiques. Ils permettent d’augmenter considérablement la solidité des papiers et par là même leur vitesse de production. Des développements sont rendus possibles par les travaux des chimistes de l’époque, qui montrent que toutes les cellules végétales contiennent une substance blanche et fibreuse, chimiquement identique au coton des chiffons : la cellulose, nommée ainsi car constituant l’essentiel des cellules. Les procédés chimiques consistent donc à extraire du bois les fibres cellulosiques à partir desquelles on fabrique du papier. –
Le passage du stade artisanal à l’industrie lourde
L’industrie papetière, tirée par une consommation de papier sans cesse croissante, devient ainsi une industrie lourde au début des années 1900. Pour alimenter ces monstres d’acier, deux grands procédés en continu sont mis au point entre les deux guerres mondiales pour préparer de la pâte à partir de copeaux de bois. Le but est d’utiliser au maximum les déchets de scierie et le bois non utilisé comme bois d’œuvre.
Au Québec
L’industrie papetière québécoise tire son origine de l’exploitation forestière destinée au marché britannique. À la suite du blocus naval de Napoléon en 1806, l’Angleterre ne peut plus s’approvisionner en matières premières sur le continent européen. Elle se tourne alors vers sa colonie, le Canada, pour avoir accès au bois d’œuvre qui servira, entre autres, à la construction navale. Le Québec découvre à cette époque tout le potentiel commercial de ses forêts et met à profit son vaste réseau hydrographique.
Des quatre coins de la province, on voit des milliers d’hommes monter aux camps, laissant derrière eux femmes et enfants ainsi qu’une terre en dormance. Ayant bûché tout l’hiver, ils profitent de la crue du printemps pour le faire le flottage du bois. C’est le début de la drave. Ce moyen de transport efficace et économique permettra d’acheminer annuellement des millions de billots de bois vers les scieries, où ils seront taillés avant d’être exportés.
La relance d’après-guerre marque une étape importante dans l’histoire des pâtes et papiers considérée comme l’âge d’or de l’industrie. Celle-ci est caractérisée par des augmentations record de la production, mais aussi par le réaménagement du travail, basé sur la mécanisation des procédés, de la coupe du bois à la fabrication du papier. La spécialisation des métiers vient également donner un air de modernité à l’industrie, avec l’ouverture d’une première école nationale de papeterie à Trois-Rivières. Du côté des ouvriers, les conditions de travail s’améliorent et on observe une percée du mouvement syndical qui n’avait pas réussi jusque-là à s’implanter, à cause notamment du paternalisme industriel.
Les années 1960 amènent leur lot de changements dans la société québécoise. Propulsé par le « Maîtres chez nous » de Jean Lesage, les Québécois veulent se réapproprier leur territoire. Des grands projets tels que la nationalisation de l’électricité voient le jour. C’est le début de l’État-providence. L’industrie papetière est, quant à elle, marquée par de nouvelles stratégies visant à accroître son rôle, tandis qu’on cherche, par la création de sociétés d’État, à mieux contrôler l’exploitation de ses ressources. Avec la loi 27, adopté en 1974, le gouvernement va encore plus loin en s’assurant une meilleure répartition de la ressource forestière selon les régions. Il octroie des subventions pour la modernisation des usines et la réorganisation complète de l’industrie du sciage. Ainsi, le gouvernement, autrefois gardien de la forêt, en devient un gestionnaire actif.
Après une période de croissance soutenue, les années 1980 débutent sous le signe de la récession et du chômage. Confronté à l’essoufflement de la ressource forestière (conséquence de la surexploitation et du reboisement insuffisant), le gouvernement privatise et dérèglemente ses sociétés d’État. Le milieu industriel est chambardé. C’est la désindustrialisation, phénomène qui se poursuit durant toute la décennie suivante, alors que le Québec est marqué par une restructuration des industries forestières et papetières ainsi que par la forte présence de la concurrence étrangère. Une modernisation des équipements est nécessaire afin de faire face aux nouvelles exigences du marché. Malheureusement, plusieurs papetières ne voient pas l’intérêt d’investir des centaines de millions de dollars dans des infrastructures désuètes, alors qu’il est possible de construire ailleurs et à meilleur coût des installations entièrement nouvelles.
Certes, avec l’arrivée du nouveau millénaire, certains facteurs ont contribué au déclin de la production de papier journal : hausse du dollar canadien, concurrence des marchés internationaux et arrivée des nouveaux supports électroniques. Paradoxalement, de nouvelles avancées technologiques façonnent le milieu papetier d’aujourd’hui et l’appellent à se réinventer. Alors que jadis il comptait sur sa compétitivité en termes de production, c’est maintenant dans le domaine de l’économie du savoir qu’il se démarque. Par exemple, de nouveaux procédés de transformation et de valorisation permettent d’axer le travail différemment tant au point de vue de la transformation du bois, des papiers et des cartons que des matières recyclées. L’industrie papetière emprunte dorénavant une voie plus verte et de nouvelles normes environnementales font leur entrée, comme le traitement des eaux usées, tandis que l’on priorise des ressources écologiques à renouvellement rapide, comme le bambou, l’eucalyptus, le chanvre et le lin. Du point de vue de la recherche, on parle de biochimie, de méthicellulose, de bioénergie et de papier intelligent antibactérien. C’est donc une industrie en constante évolution.